Deux expositions parallèles présentent les photographies de Boris Mikhailov, l’une parisienne, à la galerie Suzane Tarasieve, l’autre à la Criée à Rennes.

Le second lieu propose un ensemble de Photographies regroupées sous le nom de Salt Lake. Les images sont tirées sur papier sépia légèrement gondolé, mais sont bien trop grandes pour être d’époques. Elles montrent des instants de plage issus de l’Ukraine des années 80. Sauf qu’en lieu de plage, les baigneurs s’étalent sur les rives d’un lac salé, où cohabitent conduits d’évacuation d’eaux usées et corps en maillots de bain. Les femmes, l’air déterminé, un fichu sur la tête, avancent dans l’eau jusqu’à mi-corps, tandis que les enfants et les hommes échoués profitent du soleil. La proximité des déversements pollués ne gène en rien les allées et venues, les pique-niques et autres jeux de plage qui se répandent partout où l’été est présent. Car on vient ici par croyance, la chaleur de ces eaux, conséquence artificielle des rejets des l’usines attenantes, sont courues pour leurs vertus thérapeutiques.

De ces corps ventripotents, complètements englués dans la fatigue, Boris  ne cache ni n’impose rien. Le regard n’est pas voyeuriste, le photographe est là, tout comme chacun des participants, clandestin mais en même temps simple engrenage dans la machinerie soviétique qui émet de la transgression presque aussi naturellement que de l’interdit. Rien dans le cadrage ne trahit de regard ni d’empathie, l’artiste photographie comme d’autres font la sieste, sans pudeur, débraillé et à demi édenté. Boris Mikhailov n’est ni plus ni moins qu’un ukrainien avec un appareil photo caché dans son maillot de bain.

Ce qu’il montre : des usines et la foule, ni grises, ni voraces, rouillée et poussives. Il n’y a pas encore de déchet au sol. Le grincement des visages fatigués n’est que le fait du relâchement ambiant. Cette société aux gestes sclérosés ne sécrète plus que de la sueur qui ruisselle sous les bras des grosses bonnes femmes et le long du cou de leurs maris. Pourtant, l’Ukraine de ces années, fleuron hypertrophié de l’URSS, à quelques airs de bord de Marne d’entre deux guerres. La crasse n’a rien d’abjecte, elle n’est qu’environnement, les enfants jouent, et l’on mange des sandwichs.