Le travail de Taysir Batniji parle d’une impossible présence, celle qui fait du déplacement comme de l’immobilité une extériorité, qui déplace la notion de chez soi pour la rendre fuyante et inatteignable, celle de l’exil. Chacune des œuvres proposées dans sa dernière exposition à la Galerie Eric Dupont reprend à sa manière ce trouble.

La première œuvre, Gaza House 2008-2009 en est le paroxysme. Elle est constituée de photographies de la ville dont la prise a été commissionnée à un photographe. Taysir Batniji n’ayant plus le droit de s’y rendre depuis 2006 le seul moyen pour lui d’y être un peu, de s’approprier ce morceau de terre, est d’emprunter le regard des autres. Il présente ces clichés sous la forme d’annonces immobilières ; on sent d’ailleurs que ces bâtiments étaient presque neufs avant d’être détruits. Le peu que les bombardements ont laissé debout brille encore, l’architecture optimiste se devine derrière les rampes d’escaliers fraîchement vernies, il n’y a aucune patine nulle part, tout était prêt pour que la vie grandisse dans ces maison faces à la mer.  Aujourd’hui elles sont à vendre, toutes aussi factices et intouchables que le sont les descriptions d’agences immobilières.

On trouve un peu plus loin, posé sur le sol un rectangle de pavés. Le visiteur n’est pas invité à y monter, ils ne sont pas scellés, juste disposés les un contre les autres. Ce Socle du Monde demande encore à être joint avant que qui que ce soit ne puisse poser le pied dessus. Les pavés pourraient provenir de l’entrée se dit-on, pourtant ils sont peu plus gros, et d’une pierre plus rouge, que ceux utilisés pour les revêtements de sol des cours parisiennes. Ils viennent d’ailleurs.

Et dans un coin de la galerie – au mur, presque invisible – un trousseau d’une dizaine de clés en plastique translucide pend à un anneau en attente de son propriétaire. Là où il se trouve n’importe qui peut s’en emparer sans être vu. Il n’y a qu’à tendre la main et le glisser dans sa poche pour devenir propriétaire, fort d’une double possession : celle physique de l’œuvre prise, et celle souvenue des portes qui ont été laissées fermées.