Premier rappel aux visiteurs, une exposition se parcourt autant par les jambes que par les yeux. Danser sa vie s’ouvre donc sur Matisse et sa La danse de Paris. L’œuvre couvre tout un pan de mur que l’on peut survoler du regard mais aussi arpenter. Il ne faut pas moins d’une dizaine de foulées pour la longer de bout en bout, alors que les personnages du tableau l’enjambent en trois rebonds.

Cette incitation se diffuse dans la scénographie qui semble avoir été étudiée comme une chorégraphie. Pleine d’allers et retours, elle entraîne une occupation optimale et répétée de l’espace par les visiteurs qui n’ont de cesse de se retourner.

La seconde salle rassemble quelques précurseurs, Muybridge, Rodin, Bourdelle y côtoient Nijinski et Matthew Barney en faune. Pas de surprise, jusqu’au moment où l’on découvre dans un coin les quatre Danse d’Etienne Chambaud. Dans ce travail, l’artiste superpose de manière légèrement décalée une dizaine de photographies identiques. Sauf qu’elles ont été coupées à un angle, à chaque fois un peu plus que celle du dessous ; de la sorte Etienne Chambaud insuffle une élongation et une épaisseur au geste de la petite fille qui sautille sur le cliché. La manipulation est d’une extrême simplicité, le résultat foudroyant de justesse.

La peinture comme médium est très présente dans l’exposition, sauf qu’assez rapidement on devine que l’intérêt de ces artistes se portait plus sur une danseuse que sur la danse elle-même. Nolde et Kirchner sont plus véhéments, à côté d’eux Sonia Delaunay, Gino Severini et même Picabia ont une approche soit plus raide soit trop molle, et dans tous les cas plus intellectuelle. On sent bien que leurs œuvres ont été pensées dans le tempo alors que les allemands balançaient un Ragtime syncopé.  De même, les décors et les costumes ressortis pour l’exposition, ont un aspect de momies cartonnées un peu vain. Entre danse et traces de danse il y a une mécanique complexe et souvent capricieuse, qui, si elle se fige, finit inexorablement par prendre la poussière.

L’une des grandes qualités de l’exposition est d’avoir su proposer des vidéos dans un rythme agréable et jamais lassant. Souvent, comme pour Danse of light de Simon Dybbroe Moller, il est possible de s’y arrêter un instant, de la laisser puis d’y revenir sans avoir trop à pâtir des mélanges de la tambouille de l’exposions. Dans celle-ci l’artiste transforme des témoignages d’aurores boréales en chorégraphie, qui une fois jouée forment une image mouvante toute de flux colorés, recréant ainsi une aurore boréale remémorée. À l’opposé, les démonstrations de William Forsythe ont un petit air de tour de magie ou de stand-up. Si on aime être pris par la main pour s’amuser la vidéo est un délice : c’est le Jamel comédie club des intellos ; mais sans ça, sa poésie tombe un peu à l’eau.

Plus loin Entre-acte de René Clair donne à voir sous les jupons d’une danseuse. L’image est un peu désuète mais rapproche le regard de son sujet et le place à portée de main. Car cette vidéo à bel et bien quelque chose de tactile, d’autant que l’artiste n’est pas dénué d’humour, et qu’il a le sens de la métaphore. Le film dure 35mm, difficile dans ce cas d’en connaître le fin mot, mais cela ne doit pas être l’enjeu principal de la chose.

La salle suivante apporte une surprise de taille, l’intérêt de Kandinsky pour le geste et la chorégraphie se concrétise en une vidéo amusante à mille lieux de l’Atlantide de la forme qu’il conçoit d’habitude. Elle est présentée parmi différents ballets mécaniques qui ont l’air de curiosités horlogères rutilantes de chromes. À leur suite, les distorsions féminines d’André Kertész de Picasso ressemblent à des baudruches que les artistes auraient pressées et déformées entre leur doigts. La réalité n’a pas dû être très éloignée.

À ce moment de l’exposition le goût des artistes pour la danse et le mouvement se double d’un engagement dans la performance. Jan Fabre pousse le corps à l’extrémité de sa fluidité et de son animalité, Quando l’uomo principale è una dona montre une danseuse recouverte d’une sorte de liquide amniotique dans lequel elle danse et glisse nue. En face de lui Klein, guindé et amusé joue au chef d’orchestre minimaliste. Son menuet tissé par ses regards complices et satisfaits aux corps bleus mais presque sans visage de ses modèles est une farce pour fesses rebondies et observateurs douteux sur fond de droit de cuissage. Pollock en vis-à-vis de Trisha Brown signale la séparation annoncée précédemment. Rauschenberg via Cunningham, Cage, et bien sur Nauman stoppent la fête.

Les dernières salles sont celles de la désillusion douce amère de Felix Gonzales-Torres et  du cynisme nostalgique d’Andy Warhol. Plus proche de nous, le corse Ange Lecia nous plonge dans les années 90 dans sa vidéo Impossible étoile. Toute cette décennie y est résumée, ses saccades, ses cagoles, sa musique 70’, voix nasillarde et beautés en paillettes. Tout à la fin, The show must go on de Jérôme Bel nous rend une dernière fois coupable d’être observateur et pas assez performeur. Il filme sur une scène une vingtaine de personnes répétant avec amusement les mêmes gestes à l’infini sur fond de musiques populaires. À nouveau, ils ont l’air de bien se marrer.