La photographie de Thomas Struth est une machine de guerre bien huilée. Et de même que Thomas Struth semble dire « je peux tout photographier » son œuvre ne fait que démarrer à ce point. De près ou de loin, de face ou en biais, tout est passé devant le viseur de l’artiste. Avec un souci de la lumière, de la composition et de la couleur. Sauf qu’à chaque fois il s’applique à démonter le monde qui lui fait face pour en faire apparaître l’opacité. Presque toujours le travail de l’artiste est une frontière pour le regard, Thomas Struth manipule ces images pour faire varier les possibilités de pénétration de l’œil en elles. Il construit des murs, et cette exposition à la fondation Serralves devient rapidement un labyrinthe.

La première salle est industrielle, de Buenos Aires à Cap Canaveral, tout ce qui compte de grues, de câbles et de machines hydrauliques  a été observé. Les tirages souvent très grands imposent une dynamique mécanique à leur observation, les visiteurs sont pris en charge totalement par l’image. Elles leurs sont autant des grilles de lecture que des grilles de constructions dans lesquelles le regard vient s’écraser.  Par moment, elles sont tellement denses que l’on doute même qu’il y ait eu la place pour faire tenir l’artiste et son appareil dans les environnements qu’elles imposent. Parfois c’est l’amas d’objets qui crée ce sentiment, parfois c’est la densité de la lumière, une lumière qui fait penser que la photo est translucide mais qui ne permet aucun doute quant à sa dureté.

Un couloir regroupe les travaux en noir et blanc urbains, de la fin des années 70 et des années 80. Au début, ces villes nous sont toujours restituées vides, désertées, les photos ne montrent qu’une rue qui s’en va, figées dans la rudesse d’un pas sans allant. Un peu plus loin, quand l’artiste commence à photographier des villes asiatiques et italiennes les perspectives des rues sont brisées. L’enchevêtrement de masses et de lignes brouille toute lecture. Le pas de l’artiste réapparaît ainsi. Le contraste est saisissant avec la série suivante. Les Paradise, c’est la jungle, les lianes et mère nature qui génèrent du végétal, du vert, et dans le quel vient s’engluer l’artiste. Les vues y sont plus frontales que jamais. C’est comme si une barrière se dressait, mais une barrière franchissable, une barrière érigée tel un challenge organique pour le regard.

La salle suivante regroupe les photographies de lieux touristiques et de musées. D’un seul coup les photos se remplissent de touristes et de badauds. À jeter un œil aux cartels on comprend la somme des voyages que ce travail suppose. Partout où il y a du monde qui s’amasse, l’artiste vient faire corps avec le flux des voyageurs. Ici les photographies se traversent sans résistances, Thomas Struth ne laisse presque rien à quoi se raccrocher. La beauté des monuments et la nonchalance de la marée humaine font de ces lieux des cartes postales vides de toute envie.

L’exposition s’achève sur les portraits de Gold families. Ici sont les hommes et les femmes qui nous font face. Ils sont quatre, cinq ou six et représentent la complexification ultime pour une barrière. Rien ne passe, nous ne sommes pas des leurs, et à chaque regards nous consolidons un peu plus leur sentiment d’appartenance.