Olbricht n’est pas un collectionneur bruyant, mais le dévoilement d’une collection personnelle induit toujours les fantasmes les plus fous. La Maison rouge l’a bien compris. Tout est réuni pour que le voyeurisme et le goût des belles choses fasse naître des étincelles dans le regard des visiteurs.

L’exposition commence sur un face-à-face deux gravures de Dürer. Sur la première, un blason, sur l’autre, le chevalier, la mort et le diable. Ensemble ces quatre éléments résument bien l’idée de l’exposition. Le blason, car à chaque instant on se rappelle que si les œuvres ont des auteurs, la collection, elle, n’est le fait que d’un seul : Thomas Olbricht, le chevalier parce que l’ensemble n’est pas dénué d’esprit de conquête, la mort et le diable sont eux les sujets de prédilection du collectionneur. À ces deux obsessions s’ajoute celle du temps. Elle apparaît immédiatement après les gravures en la présence de The brown sisters de Nicholas Nixon. Ce déroulé de photographies montre quatre sœurs – dont la femme de l’artiste – prises à intervalles réguliers depuis les années 1960. Les moues évoluent, les coupes de cheveux et la mode vestimentaire passent, mais au-delà de ces petits constats seule demeure la question  de la dernière photo. Quand ne seront-elles plus quatre ?

Puis viennent Polke et Richter. Le premier, discret et pince sans rire, le second, toujours plus malin que le regardeur. Ils sont suivis d’artistes de générations plus récentes, Berlinde de Bruyckere et des Frères Chapman en tête. Avec eux la tendance à une figuration triomphante et invasive s’impose.

Un renfoncement de l’espace accueille une partie de ce qu’Olbricht amasse par goût des sciences naturelles désuètes. Sa collection est pleine de carapaces de tortues et d’autres cornes de rhinocéros. Elles sont là pour souligner que dans la nature comme dans l’art, ce qui est interdit et immoral peut être beau. Mais un peu avant, dans un coin, Laurent Grasso vient tacler les simples additions et les superpositions rudimentaires de neuf et d’ancien. Chez lui la question du temps dans l’art est dense et laborieuse, et évite les citations grossières. Studies into the past règle son compte à la transversalité trop vite dite, trop simpliste.

Le trouble continue avec un groupe d’œuvres dont les femmes sont les sujets et souvent les auteures. On trouve Marlene Dumas, toute en intimité avec Ungrromed, Johannes Kahrs Untitled (Girl Standing) avec un vibrant et fascinant portrait de l’impudeur de la jeunesse. Large de tout un mur, Irène de Franz Gertsch est une peinture immense mais vive comme une gifle. Le tout est chaperonné par Cindy Sherman, droite dans ses bottes comme toujours.

Il y a beaucoup de peinture dans cette exposition, mais au milieu de cet étalement a été installé au sol Lever du collectif ClaireFontaine. Cette œuvre est constituée d’une longue ligne de brique recouvertes sur leurs tranches d’un titre de Deleuze (Difference and repetition). Il n’est pas certain que les visiteurs aient lu le livre, ni même le connaissent, mais ici de part la disposition de l’installation, ils sont contraints à faire le choix de le contourner ou de le franchir. Dans les deux cas le geste n’est pas anodin.

Plus loin dans la visite, une salle plongée dans la pénombre réunit une grande quantité de cadre hollandais. Et bien sûr, dedans, de l’ancien, du contemporain, quantités de citations et nombreux trésors. Mais les plus grandes surprises se trouvent par terre. Sans titre (Amor Fati) de Gitte Schäfer est une stèle de jaspe sur la quelle sont fichées des flèches. L’œuvre est toute simple mais la juxtaposition de l’imagerie de l’attaque des trains par les indiens et de la pierre funéraire est absolument irrésistible. Nymph of the Woods de Glenn Brown est un bronze recouvert d’amas de peinture, de loin on dirait une racine, une boursouflure de pâte grasse a infecté la pauvre nymphe au point de la faire totalement disparaître sous une couche de verrues colorées. Au milieu de la pièce, Rebus un sapin couché, de belle taille et encore recouvert de ses décorations de noël, est là pour affirmer que la fête est finie. Mais aussi que l’on n’a pas fini d’avoir sous les yeux les signes de cette fin.

En règle générale, plus on avance dans l’exposition plus sa richesse en crânes et en citations mortuaires remplit l’espace. L’avant dernier est entièrement consacré aux memento mori, il y en a tant et tant que l’accrochage prend un air d’ossuaire. Pour finir, au sous sol ont été rassemblées les œuvres évoquant l’enfance et les enfants, dérangeant à souhait.

Le patio est occupé par deux grands bronzes de Thomas Schütte. Il reprend des figures féminines classiques et rebondies de la statuaire moderne et les dégonfle. C’est comme si d’un seul coup Maillol était retombé tel un soufflé raté.