Quand il s’agit de sculptures Georg Baselitz pèse de tout son poids. Le bois brut, les troncs et les coups que leur assène l’artiste ont l’air immense et éternel. C’est toute cette masse que le Musée d’art moderne de la ville de Paris c’est engagé à restituer.

La petite histoire veut que l’artiste ait commencé à sculpter pour sa participation à la biennale de Venise. De cette première expérience, pleine de circonstances, l’artiste a conservé l’étonnement du bloc et de l’image. Mais il est allé bien au-delà, les figures qu’il crée à partir des années 80 enragent de vouloir s’affirmer comme des œuvres. Elles se dressent et s’imposent, quelque chose de primitif irradie d’elles. Mais à s’y frotter de plus près on comprend dans nos chairs que, de primitives, elles n’ont que l’immédiateté de leur geste. Ces sculptures sont là pour que l’on butte contre elles. Elles sont un plein et cela fait toute leur modernité.

L’exposition est ainsi jalonnée de rocs qui font de nous des billes de flipper. Les femmes de Dresde-Pignon, entièrement de jaune, sont pires encore. Elles ne jouent pas de leurs regards, elles sont là, présentes telle une poignée de menhirs. Elles nous ignorent d’un silence rentré, cousu et balafré. Mais nous, face à elles, nous hurlons. La multiplication des entailles qui forment leurs traits sont autant de marques d’une fierté qui fait froid dans le dos. Dans la salle suivante, une jambe seule, jaune elle aussi, est entourée de la suite de peinture Herdoktorkunstfreud. Sur ces grandes œuvres blanches, une barre noire, scande verticalement le milieu de la toile alors qu’un ou deux visages tamponnés et bouches ouvertes remplissent l’espace restant. Ces faces tremblantes sont pareil à l’écho du choc dont nous sommes victime.

Comme à l’accoutumé le musée regroupe dans un espace les dessins de l’artiste. Ces œuvres sur papier figurent presque toutes des visages et des corps grossièrement tracés. Pareillement au sculptures, ces bonhommes sont faits de traits comme ils le seraient de coups de hache.

Plus loin, Madame Paganisme avec son tronc massif et son bras posé à coté d’elle ressemble à une arche, une grotte archaïque dans laquelle on veut se faufiler pour sentir le contact du matériau. Le bois n’est plus chaleur, il rejoint ici la roche dans l’implacabilité du désir primitif qu’il nous accorde. C’est une pulsion humide et froide, un appel à la pétrification que la sculpture insigne à la chair.

Tout à la fin se trouvent les autoportraits monumentaux de la fin des années 2000. Ils sont assis ou debout, et ils se font face, formant un cercle de penseurs qui concentre dans son immobilisme toute la démarche de l’artiste. À la fois brutaux, viriles et réflexifs, ces trois hommes ont leurs pénis dressés et pointus comme des poignards. De leur hauteur, ces pics nous atteignent en plein ventre.