Faire face à une œuvre de Berlinde De Bruyckere s’apparente souvent à cheminer sur un fil. Le risque de basculer dans l’admiration morbide est immense, on y succombe presque à chaque fois. Pourtant la finesse des implications, l’évitement des circoncisions de la mémoire nous poussent toujours à y revenir.

Le premier espace de l’exposition contient 0.28,. C’est une grande vitrine ancienne, toute en longueur, aux portes battantes et disposée dos au visiteur qui pénètre dans la salle. Une fois l’avoir contourné, on découvre à l’intérieur des moulages de troncs d’arbres en cires maintenus par des ficelles. Leurs couleurs translucides, gris pâle nervuré de verts et de bruns, et leur nature organique donnent le sentiment qu’ils ont été confits, l’image qui s’impose face à nous oscille entre la remise à confitures et le musée d’histoire naturelle. En dessous, de plus petits compartiments renferment des piles de couvertures. Ce sont d’étranges prédelles que l’on ne peut toucher, mais dont on reconnaît la texture de laine – celle des couvertures de grands-mères.

Dans la même pièce 20, est une autre vitrine. D’un seul espace étroit, elle ne contient en son centre qu’une seule cire, un hybride de porc et d’homme. Dans l’atmosphère climatisée dont seul le moteur vient animer le silence, cet être blanc a l’air d’être en phase de dé-cryogénisation.

Le second espace d’exposition accueille Invisible beauty and invisible love I et II. Ces figures accrochées à auteur de visage sont à la fois des corps pendus et les empreintes de ces corps. C’est comme si le voile de Véronique avait prit la chair du visage du Christ en même temps que ses traits : la transfiguration des jambes, du ventre et des entrailles posées sur un croc de boucher. Ici les bras et les têtes ont disparus, ces troncs désarticulés et probablement désossés pendent figés dans une mollesse éternelle.

Non loin de là Les deux ont l’air de deux chevaux, rigides comme tétanisés et posés sur des tréteaux de chantier. Rapidement on comprend que si les formes sont bien celles – à s’y méprendre – d’animaux, les peaux dont elles sont recouvertes sont formées de nombreux morceaux cousus entre eux pour former l’épiderme que ces chevaux portent comme un gant. Ces créatures n’ont pas d’yeux ni d’orifices. Ils sont muselés et figé dans la peau qu’on leur a confectionnée.

Ce n’est pas tant l’horreur des sculptures de Berlinde De Bruyckere qui nous arrête, le froid qui les entoure est pire encore, il nous contamine comme la culpabilité. On songe alors aux expériences avortées et conservées dans le formol de notre mémoire, à nos tentatives, à la chimie que l’on voudrait maîtriser, à l’eugénisme.