La peinture de John Currin est une chausse-trape pour les regards européens qui n’y voient que la tradition et la caricature du nouveau monde. L’artiste colle des hommes et des femmes, des jeunes filles et des vieillards sur des fonds pastels ou nuageux. Tout y est bien frontal, la chirurgie esthétique comme la plate réalité des chairs des personnes seules et en couple. Cela ressemble souvent à un coup marketing.

Le corps germanisant et les lèvres pulpeuses de Honeymoon Nude ne porte aucune trace de la perte de l’innocence, pas même un poil. La peau est lisse et laiteuse, les pupilles brillent de vacuité, tout concorde. Jusqu’au doute, il y a trop de niaiseries pour que ce soit vrai. Et pourtant ! C’est cette même candeur idiote que l’on retrouve – le gloss en moins – sur les trois visages de Stamford After Brunch. Dans ce grand tableau en largeur les regards et les sourires creusent les rides de ces jeunes femmes de bonne famille un peu gagas, mais dont on ne sait pas de quoi. Le cul enflé de celle de droite répond aux dents trop blanches et trop carrées de celle qui lui fait face. Dehors il a neigé, dans le dedans elles fument le cigare.

Chez John Currin les visages masculins ont souvent l’air d’avoir été découpés à la hache comme dans The Berliner. La sociologie de l’artiste n’offre qu’une place de meuble aux hommes, ils sont dans le décor même quand le tableau les prend pour sujet principal.

L’exposition qui se déploie sur plusieurs niveaux regroupe au troisième étage les mises en scène de la société américaine avec ses fêtes et ces célébrations. Même en famille tout y est scénographié, Thanksgiving et The Christian figurent des femmes les mains pleines de symboles et le visage construits comme des panneaux autoroutiers. Tout y figure, tout ce que la culture WASP peut avoir d’idéologique et de figé au botox.

Le dernier étage regroupe ensemble la sexualité et la maternité. Les corps sont parfois jeunes mais souvent médiocres, les appendices qu’ils soient ventraux ou génitaux sont en gerbe. Il est amusant de noter que les tableaux d’accouplements portent un nom de villes, comme si les positions chics qu’ils montrent en gros plan participaient d’un plan de communication pour l’office du tourisme.

Presque toujours ces tableaux ressemblent à des natures mortes. Que ce soit pour leur coiffure ou leurs expressions millimétrées, les personnages qui y évoluent semblent avoir été déposés et disposés selon des codes de bienséance sur lesquels ils n’ont aucune prise. C’est comme si l’artiste avait peint un portrait d’un portrait, en rajoutant du code aux codes. Quelque part John Currin c’est de la série TV américaine pour amateur de peinture.