La fondation Beyeler est souvent le lieu de rencontres éclatantes. L’exposition en cours ne déroge pas à la règle et met coude à coude deux géants de la sculpture. Brancusi et Serra n’auraient pas grand-chose à se dire s’ils n’étaient l’un et l’autre au-delà de nos attentes.

Une première salle rassemble les Baisers du roumain. On y voit plusieurs versions s’étalant de 1907 à 1925. À côté – mais séparé par un mur – on peut observer huit dessins récents de Serra. Weights et Baisers ne se font pas face, mais attisent prudemment la tension. C’est donc dans la troisième salle que les premiers vis-à-vis s’offrent aux visiteurs. Les Belts de l’américain, sculptures de caoutchouc suspendu, y sont dévisagés par l’Adam et Ève béants de Brancusi. Cette entré en matière par le biais des corps mous des deux artistes est particulièrement étonnante.

Dans l’espace qui suit cette première rencontre frontale, les petites têtes et autres ovoïdes de Brancusi roulent dans l’espace faisant jouer entre eux les médiums qui les constituent. Toute la magie du sculpteur est rendue par le contact des matières, la pierre, le bois, le bronze et les autres métaux superposés attirent indéfectiblement la main. Tout ici semble couler de source, les déclinaisons sont légitimes et poussent même à l’apparition d’un sentiment d’avidité devant ces trésors que l’on voudrait ramasser. Si les petites Muses endormies ont l’air de perles disséminées, l’imposante Olson de Serra, formée d’une double plaque d’acier penchée et courbée, fend l’espace comme un paquebot. La sculpture compresse l’atmosphère, et pèse de tout son poids sur le visiteur rapidement accaparé par le vertige et l’angoisse d’être écrasé.

Les œuvres suivantes arrivent comme des contrepoints, Conséquence of conséquence puis Delineator de Serra distordent aussi notre rapport à la masse mais en inversant les axes de tension. La première sculpture est formée de deux cubes métalliques légèrement irréguliers qui aspirent à eux le visiteur qui fait ici l’expérience de l’extériorité. La seconde est formée de deux plaques, l’une au sol et l’autre au plafond que nous sommes invités à traverser. Mais quiconque à le souvenir d’accidents survenus avec des œuvres de Serra, risque d’être prit d’un vertige déraisonnable, mais bien réel, une fois pris en sandwich entre les deux lames de métal. À leur côté les Négresses blondes sont tout aussi vénéneuses. Elles se tournent le dos et nous tendent leurs carapaces recouvertes d’épines carrées.

Le sous-sol de l’exposition est plus calme. On y trouve des œuvres sur papier de Serra, leur odeur de cire remplit la salle en même temps leur masse sombre et noire vient s’appuyer sur les parois. Elles sont suivies par les vidéos de l’artiste et des photographies que Brancusi. Deux médias qui ont vraiment compté pour aider les publics à appréhender le travail des deux sculpteurs.

La visite se termine sur les Torses et Bustes de Brancusi. Ceux-ci sont réellement émouvants. Ils diffusent un peu de nostalgie face aux œuvres de Serra qui leurs répondent avec leurs prénoms. Il y a finalement une réelle intimité qui se crée dans ce face à face. Les volumes entres eux de Brancusi et la contamination de espace de Serra se rencontrent tellement bien, que l’on aurait envie de poser une sculpture de Brancusi sur une sculpture de Serra. Un sacrilège, juste pour voir. Mais l’on n’en fera rien.