De plus en plus régulièrement la galerie Almine Rech propose deux expositions en même temps. Elles ne sont pas toujours reliées entre elles et ne se mélangent pas. Les expositions simultanées de Peter Peri et Joe Bradley ne dérogent pas à la règle, pourtant ces deux expositions si elles se tournent le dos n’en ont pas moins à se dire.

Au rez-de-chaussée, Peter Peri se fait un drame de défoncer les portes branlantes de la modernité artistique. Peinture uniforme, moyens formats, aspect laqué sur un support rugueux et plein d’aspérités ; l’artiste n’y va pas par quatre chemins pour s’adresser à l’héritage manuel laissé par le 20 ème siècle. Il enfonce même le clou en donnant à chacun de ses travaux des titres mystérieux. Rien ne semble avoir été laissé au hasard dans cette plongée en apnée en banlieue moderniste.

Il y a une réelle frustration dans ces peintures, l’opposé même de la sensation de virtuosité joyeuse qui domine souvent la peinture abstraite. L’artiste semble avoir rongé son frein jusqu’au bout de ses ongles, c’est acculé qu’on imagine qu’il se soit résigné à appliquer cette laque argentée sur la surface de ses œuvres. Celle-ci n’en est pas moins une constante dans ce travail. Elle sert de fond au noir, bleu, vert et rose sur laquelle se forment des réseaux de lignes crayeuses sur la surface de la toile : bardée de cicatrices et de traces, elle est l’aveu de l’abandon de l’artiste face à la peinture. Mais en recouvrant systématiquement son travail d’une pellicule uniforme, Peter Peri ne dénie, ni la gestuelle, ni le minimalisme, ni même l’avancement de l’art, il les rend palpable.

À l’étage, Joe Bradley s’adonne à de plus grand formats. Là où la peinture de Peter Peri semblait raide et tendue, celle de Joe Bradley s’étale et s’écrase comme du pastel mou et chaud. Ces œuvres donnent spontanément l’impression d’être des dessins d’enfants élevés à échelle adulte.

Tout en elles pousse à une appréhension directe et jouissive de leurs contenus. D’ailleurs les deux salles sont  remplies de l’odeur de l’huile, abattant encore plus la distance entre le visiteur et les œuvres. L’artiste n’hésite pas à faire l’autruche et à désinhiber son plaisir, ses couleurs sont sales d’avoir été tripotées tant et tant, ses gestes ne gardent rien d’une quelconque virtuosité, Joe Bradley fait de la peinture et tient à ce que se ne soit que de la peinture.

De l’un à l’autre on navigue entre deux postures, d’un extrême à un autre, ce qui est une excellente occasion pour soi même, de se décrisper la mâchoire.