Longtemps encore on pensera que la grande affaire d’Odilon Redon est son œuvre graphique, ses gravures, ses dessins. En effet ce sont eux qui, regroupés sous la bannière des noirs, le feront publier et connaître. C’est donc par eux que l’exposition du Grand Palais commence – une fois zappés les travaux de formations, dont il est l’usage de faire cas.

Il y a là quantités de têtes. Il n’est même presque question que d’elles et de leurs formes rondes en situation. Parfois elles sont ailées et s’envolent, parfois elles roulent mélancoliquement, et toujours et leurs nez raides leur donnent un caractère byzantin.

Regroupée a posteriori ou conçue à dessein, une grande partie de ce travail est publiée sous forme de recueil. Tout d’abord de manière autonome puis en vis-à-vis d’auteurs dont il illustre les écrits. Flaubert et Poe sont de ceux-là. Une machine est lancée.  Mais Redon a mis en place ses méthodes de travail de telle manière qu’il s’enferme vite dans des boucles répétitives. Cela dit, l’artiste n’est pas dupe et se plaint dès le troisième album d’avoir du mal à renouveler aisance et spontanéité. Il les trouve ponctuellement, en laissant échapper un rire, comme pour sa Plante grasse tendue dans son pot. De même, Paysage se détache des automatismes. Il n’y a pas de figure, sinon cette forme blanche indistincte qui se dessine en son milieu – cette fois – vraiment mystérieuse. Plus loin, Centaure tirant de l’arc et Pégase et Bellérophon forment une paire où la lumière des papiers prend le dessus sur la théâtralité des sujets. Là encore ces deux dessins ont surtout le grand avantage de ne comporter ni tête ni œil.

Mais l’éventail de ses sujets est mince, et les titres portent les œuvres à bout de bras. La tension entre le littéraire et le dessin s’accentue à tel point que dans Hommage à Goya, les légendes données par l’artiste sont presque aussi importantes que les dessins eux-mêmes. Elles contribueront d’ailleurs beaucoup au succès de cet album.

L’introduction de la couleur dans son travail est un véritable bol d’air. Bien que Redon applique ses anciennes recettes, elle prend le pas sur les sujets, atténuant ainsi leur monotonie. Les titres aussi s’estompent et redeviennent secondaires. Sur cette béquille les œuvres respirent, du moins dans un premier temps. L’apothéose de cette liberté gagnée sur le noir est le décor de la salle à manger du château de Domecy. Le passage à une grande échelle débloque les tics gestuels de l’artiste et donne naissance à une souplesse inédite dans son travail.  Ici, Redon cesse enfin de travailler en illustrateur.

Du coup, une fois cette salle passée, on oublie presque tout de l’onirisme lourd et charbonneux qui caractérise la majorité des œuvres présentées. À ce titre, on note que la judicieuse scénographie n’est pas pour rien dans cette légèreté, sans elle la visite aurait eu l’air d’un tour en bibliothèque.