À une époque où l’argent fait office de liant entre haute culture et culture populaire, Richard Prince déploie une réelle érudition à nous dé-mâcher le travail. Pour lui, l’aventure de notre temps prend lieux dans la masse culturelle, dans le bouillonnement des rapports, et la sophistication de ceux-ci. L’artiste travaille avec ces éléments à la manière d’un entomologiste, il ramasse les spécimens, les recoupe et les étudie, puis les réunit sous de grands verres démonstratifs.

Ce sont ces associations – tantôt libres, tantôt strictes -, ces objets et ces manuscrits mis à plat que la Bibliothèque nationale dévoile au public. Richard Prince y livre ses collections, et ce faisant ouvre la boite à ressors de son atelier. Quiconque connaît déjà le travail de l’artiste sait qu’il aime les nurses, la mécanique et le topless, mais ce que l’on découvre dans cette exposition est un gouffre densément rempli. Toute l’histoire de la culture libertaire est reconstruite selon un agencement qui la fait sortir de ses ornières. Ici, les hippys ont les fesses molles et les pin-up ne parviennent pas à être vulgaires, c’est tout juste si on se laisserait aller à leur pincer les fesses. Les photocopies vont avec les originaux, les femmes dénudées avec les bikers, les chanteurs avec les poètes et les romans de gares, et les capots de bagnoles trônent comme des trophées.

Evidemment l’esthétique est un peu cheap, mais tout est millimétré. Si ce sont les détails de nos rêves américains à bas prix que Richard Prince réunit pour nous, il n’en fait pas moins reluire les phantasmes : les femmes sûres d’elles, les hommes virils et surpris, l’évasion brutale et les livres cornés appellent à être pris en main.

L’artiste, qui n’a jamais manqué d’à propos, pousse même la couverture vers le visiteur parisien en incluant dans son exposition plusieurs objets en langue française. On entrevoit alors que la contre-culture dont parle l’artiste est occidentale en ce qu’elle s’est construite de l’intérieur autant que par le regard européen posé sur elle. Ce faisant, l’artiste partage la crasse et le mérite ; ces objets ne sont pas soudainement plus beaux, ils nous sont donnés.

Dans la salle de lecture qui clos la visite, deux canapés dos à dos sont entourés par ce qui pourrait être le saint des saint de l’artiste : des infirmières, Picasso, Duchamp et quelques unes des plus salaces couvertures de la colec de l’artiste associées à des ouvrages rares, dont : Constipated nurse. L’artiste ayant du supposer que certains visiteurs ne goûteraient pas à son travail permet ainsi à chacun de repartir avec cette vision.