Le propos de l’exposition s’articule autour des rapports du peintre avec la modernité et le contexte artistique de l’époque : académisme et romantisme. Pour ce qui est du romantisme la réponse est immédiate : Henri Fantin-Latour, son Hommage à Delacroix ; en ce qui concerne l’autre versant, il nous faut visiter la mini exposition Thomas Couture pour accepter qu’il fut le maître, et que voilà, tout a un début, même Manet. Après ces mises en bouche, l’exposition à proprement parler commence.

Manet c’est avant tout les femmes, de l’Olympia aux espagnoles il en a regardé beaucoup, maintenant ce sont elles qui nous regardent. Elles sont rarement belles, peu attirantes et relativement normales quand elles ne sont pas tout bonnement triviales. Mais elles nous appellent ; comme dans La lecture où la jeune femme glisse une main dans notre direction sur le canapé drapé de blanc. C’est un petit geste de rien du tout, mais qui, associé à son regard, nous charme immédiatement par sa fausse spontanéité mêlée de gène et de réserve. La chanteuse des rues est livide, les cerises qu’elle tient dans ses mains sont à croquer, et toujours elle nous dévisage. La maîtresse de Baudelaire quant à elle s’ennuie ferme. Ici comme souvent, les femmes que peint Manet s’enfoncent dans le rôle de modèle ; certes elles entrent dans l’histoire et dans la rétine de générations de visiteurs, mais elles voudraient bien que ça se finisse au plus tôt, elles n’ont pas que ça à faire. Plus loin, La négresse semble assez contente d’être là, ce qui ne manque pas de piquant, dommage qu’elle et la maîtresse aient été séparées par des dessins. Et puis il y a Berthe… Berthe Morisot le fétiche omniprésent dans l’exposition.

Une salle est consacrée à la peinture religieuse, la peinture d’un catholicisme qui se voudrait mu par une foi d’église, mais qui se caractérise plus par une foi de l’image et de sa présence. Manet ne cache pas que le Christ va mourir et qu’il le sait, il ne cache pas non plus que Le moine en prière a mal aux genoux. C’est une peinture qui s’exprime dans la chair de la manière la plus directe. L’artiste, qui n’est pas homme à s’attarder sur un sujet, passe ainsi de la chair féminine à l’ancien testament, puis à l’actualité et à l’Espagne dont il contribue – au passage – à inventer l’image de carte postale, toreros, gitanes et mendiants, Olé !

La légende veut que l’artiste ait produit ses natures mortes en attendant le succès de ses portraits. Certains aimeraient qu’il ait attendu encore plus, c’est vrai que ces pépites de modernité sont des perles, mais on ne le dit pas trop fort, et l’on se contente de se délecter silencieusement de ces repas de brasseries parisiennes. D’ailleurs les portraits ne sont pas en reste, celui de Théodore Duret est un mystère contenu dans un citron, un livre et une canne.

L’exposition se termine sur trois marines, où la mer et sa substance concentrent toute la virtuosité de Manet. Les deux Évasions de Rochefort et Le combat du Kearsarge et de l’Alabama lui laissent toute la largeur nécessaire pour faire virevolter les flots. Il y a beau avoir un contexte politique, une histoire au premier plan, on ne voit que les vagues. Et heureusement, parce que sans ça l’exposition est plutôt poussive, les propos et les recoupements assez peu intéressants, et la cohue – savamment organisée par une scénographie tout en boyaux – réellement casse pied. Mais c’est Manet, et une exposition du maître qui ne se voudrait pas savante ne risque pas de voir le jour avant longtemps. Il ne faut donc pas hésiter à apporter ses œillères.