En regardant rapidement les travaux exposés à la Galerie Christophe Gaillard on peut se dire qu’il ne s’agit que d’une série de peintures expressionnistes. Les œuvres présentées sont ainsi faîtes de larges coups de pinceaux formant des réseaux amplement tracés. Mais si l’on s’arrête un instant, la matière impeccablement lisse de ces tableaux nous interpelle, puis en s’approchant un peu on se rend compte qu’en arrière-plan des tâches de peinture émergent des silhouettes. En fait le matériau qui nous fait face superpose au moins trois niveaux d’intervention de l’artiste.

Ces autoportraits aux airs de géants verts sont des épouvantails composés d’une première prise de vue photographique, que l’artiste a en suite retravaillée à la peinture, puis re-photographiée. Parfois l’image ou le négatif a dû être déchiré et fait apparaître de grandes lacunes noires qui éventrent l’image. Sous ces signes de croix, les formes humaines additionnent sans les mélanger le spectre de la photographie et le flux de la peinture. L’un et l’autre sont associés dans l’infra-mince de la photographie finale sans pour autant réussir à s’épouser. Les nuances de gris du premier autoportrait semblent se diffuser au travers de la peinture verte sans la contaminer. Et a contrario le poids de la peinture repose sur la photographie sans la comprimer.

Malgré cette multiplication de tentatives, l’artiste ne représente à aucun moment son visage. Sa face, bien que toujours largement brossée reste implacablement vide. Nous ne verrons rien du regard de l’artiste, rien de son sourire ou de ses expressions, seul l’écart des postures est là pour nous apprendre un peu de lui. Le plus souvent l’homme photographié se tient fermement, les épaules droites et le torse bombé il apparaît sûr de lui. Au-dessus, l’homme peint est un peu plus proche de nous, il a les bras ballants et le cou rentré dans les épaules. Parfois l’un de ses bras semble être tendu vers nous. Le geste est très léger mais perceptible ; il donne une certaine dynamique au portrait, une allure que renie immédiatement la photo sous-jacente.

Plus on les observe plus on oublie l’expressivité de notre première impression. Ces images aussi exubérantes soient-elles restent encapsulées dans un entre-deux qui nous met à distance. Elles ne se jettent pas sur nous et ne tentent pas non plus de nous aspirer, elles nous laissent nous questionner. Elles doivent bien avoir l’éternité devant elles.