Lucas Cranach, l’un des plus grands artistes de son époque de l’autre côté du Rhin, bénéficie d’une première monographie en France. Après Londres et Bruxelles c’est donc au tour de Paris de manipuler les trois ficelles d’une histoire qui commence à être bien connue : Réforme protestante, nus et germanité. Sur ce dernier point au moins, l’exposition lève immédiatement toute ambigüité. Tout le monde ici porte sur le visage les stéréotypes Teutoniques. On regrette presque que le musée n’ait pas songé à installer un stand de saucisses dans la file d’attente.

La première salle nous accueille avec un Autoportrait qui donne le ton. Moue penchée, regard légèrement condescendant, l’artiste n’était pas là pour rigoler. D’ailleurs les œuvres qui l’accompagnent, dépeignent des crucifixions pleines de torsions pathétiques. Mais c’est dans la gravure magistrale La capture du Christ, que la force de l’artiste apparaît pour la première fois dans le parcours.

Dans l’espace suivant est développée toute la richesse des déclinaisons comprises entre portraits et scènes bibliques. Cela va de la formidable gravure Le tournoi aux épées, où les chevaliers en armures et à cheval s’entassent comme des insectes sur une mie de pain, aux deux volets aux Scènes de la vie de la Vierge Marie, qui ne compte pas moins de quatorze puttis ailés pour quatre personnages, dans le petit mètre carré de la composition.

Le martyre de Sainte Catherine est le chef d’œuvre de cette première période. Elle consiste en une décapitation sur fond de déluge. Le tout dans une composition resserrée qui ressemble à un nœud, où décidément l’artiste n’avait pas peur de glisser des mains dans chaque coin, et des têtes sous chaque bras.

Le même genre de contorsion est mis à profit pour Hercule et Antée, sauf que cette lutte joyeuse et chorégraphiée n’est appliquée qu’à deux personnages. Dans la troisième salle on trouve aussi une étonnante Vierge allaitant l’enfant de 1515. Sa tête, mal coordonnée avec le corps, est placée comme un masque au visage bien fatigué. L’artiste, qui commençait à s’éloigner de l’adoration mariale chère au catholicisme, a peut être voulu appuyer l’imposture. La Réforme ne dira rien d’autre, Marie est une femme sur laquelle trop de mythes ont été bâtis.

Une pièce entière est dévolue aux nus de l’artiste, la grande affaire, nous dit-on. Pourtant le personnage le plus animé du diptyque Adam et Eve est le serpent, certes lui aussi nu, mais pas plus qu’ailleurs. Les deux protagonistes principaux sont eux figés dans une expression perplexe. De manière générale les nus que l’on voit ici, ont surtout l’air d’être des friandises, parfois croquantes, parfois dodues, mais presque toujours muettes. Elles sont suivies des Mélancolies de Dürer et de Cranach exposées en parallèle dans la salle dédiée à la Réforme. Il semble que tout soit dit dans ce face à face.

Le tout dernier espace regroupe de grandes compositions de groupe, dont Hercule chez Omphale. Le héros, accablé par les femmes qui l’entourent et le ridiculisent, sourit bêtement à Omphale, qui elle, nous regarde satisfaite. Ce pourrait être le mot de la fin si ce tableau n’était pas suivi par un Portrait idéalisé de jeune femme. L’artiste ne boude pas son plaisir et dépeint ici une belle, non pas nue, mais richement vêtue, au regard droit et aux mains gantées et bien en vue.