La Pinacothèque qui avait certainement remarqué que ces espaces, ouverts place de la Madeleine à Paris, lui donnaient une belle adresse mais étaient pour le moins pénibles à pratiquer, a décidé d’en investir un autre, moins alambiqué. Grand bien lui en a pris. Mais comme on ne change pas une équipe qui joue avec nos nerfs, les visiteurs sont priés d’entrer acheter leurs billets par une porte, ressortir, puis re-rentrer par un autre porte, celle-là même qu’ils avaient prise pour l’entrée principale et de laquelle on les avait détournés. Rien n’est simple, mais ces espaces sont beaux, accueillants et hauts de plafond.

La première salle de l’exposition sur les Romanov s’ouvre sur un flot de peinture hollandaise où tout se mêle. Pierre le Grand avait avant tout initié cette collection par goût, et non pas seulement par choix diplomatique. Dans le lot, presque par hasard, apparaît un Rembrandt. Mais aussi une peinture amusante de Jan Victors, Le bac, figurant une belle vache rousse, avec moutons et paysans ravis, toute fière de traverser la rivière au sec.

Les œuvres continuent par la suite à être regroupées autour du tzar ou de la tzarine qui les avait achetées, pas toujours par pur amour de l’art. La seconde salle en est l’illustration, les noms connus commencent à s’amasser et l’on assiste à la création d’une collection pensée pour être montrée, la création d’une vitrine.

On trouve donc de grands noms, mais peu de grands ensembles. Et bien que cette collection, aujourd’hui à l’Hermitage à Saint-Pétersbourg, ait été elle-même construite à partir de plusieurs collections, le goût du collectionneur est souvent recouvert par le sens de l’histoire. Cependant, l’assortiment ne manque pas de piquant, et l’on rit devant L’amour à la chasse de Poussin qui dépeint trois enfants grassouillets, manœuvrant des chiens parfaitement indifférents à leurs efforts. Parmi les autres bonnes surprises de l’exposition, on trouve le Portrait de vieillard de Ghirlandaio. Net, incisif et perspicace, ce vieil homme semble prêt à nous taper derrière les oreilles. Plus loin, Le miracle du pain et du poisson est presque un miracle lui-même. Il nous fait découvrir Bassano sous un angle réjouissant et pour une fois appliqué. Cette œuvre est ordonnée autant que grumeleuse, composée aussi bien que dispersée ; de loin elle ressemble à un gâteau de riz, doré à point.

La seconde exposition que contient ce nouveau musée est consacrée à une autre grande famille de collectionneurs, les Esterházy. Ceux-ci, hongrois, ont constitué au fils du temps une importante collection aujourd’hui visible au musée des beaux arts de Budapest.

On y trouve des auteurs renommés et des œuvres de grandes tailles, ici aussi c’est une collection d’apparat autant que de goût. Il y a donc peu de surprises et pas mal d’acquisitions consensuelles. Pourtant un fabuleux tableau de l’atelier de Cranach s’y est trouvé une place. Il s’agit d’une Lamentation sur le Christ mort, avec tout ce qu’il faut de saints et de donateurs, un joyeux mélimélo dans une composition fortement verticale. De même, au tout début, un drôle de Christ en croix de Véronèse attire l’attention. Lui aussi est tout en verticalité, et donne le sentiment que le Christ juché sur sa croix, regarde en bas avec pitié la femme qui lui chatouille les orteils. Elle, plus ou moins émue, pleure tout en faisant jouer ses doigts sur la plante des pieds du Christ.

Par contre, la fameuse madone de Raphael, dite Esterházy, laisse froid. Certes, elle est célèbre, certes elle est mystérieuse, mais l’émotion ne va pas beaucoup plus loin. C’est un peu l’impression que donne cette exposition dans son ensemble. On a le sentiment que les commissaires, échaudés par les expériences étouffantes dans l’autre espace de la Pinacothèque, n’ont pas eu le courage de remplir vigoureusement cette exposition. Dommage, reste que les œuvres sont régulièrement de grande qualité à défaut d’avoir été courageusement associées.

Dans l’une et l’autre des expositions il y a beaucoup à voir, et la qualité de certaines peintures nous fait échafauder des plans pour aller voir le reste des collections à Saint-Pétersbourg ou à Budapest. Ce qui est assez piquant quand on lit le directeur du lieu fustigeant la muséification des œuvres dans le texte de présentation de son institution. Il donne pourtant une bien belle vitrine à ces deux musées et à leurs actions. Mais l’homme n’est pas à une contradiction près.