La galerie parisienne met clairement les pieds dans le plat avec l’exposition d’un revenant sur la scène contemporaine, le plasticien Claude Rutault. D’ailleurs, celui-ci n’hésite pas à jouer de la situation et intitule son exposition : Exposition-suicide. Une manière de dire que même les artistes que l’on croyait étouffés par la poussière qui les recouvre, sont très largement capables de se jeter dans le grand bain.

La méthode est toujours la même mais ici elle s’applique au temple du marché de l’art contemporain. Il est tout de même amusant de relever qu’à la manière d’un aide-mémoire, les ouvertures des fenêtres de l’espace principal sont légèrement masquées par des stores de même couleur que les murs. Et puis, sur ces mêmes murs on trouve les châssis de toute forme et de toute taille chers à l’artiste. Posés les uns contre les autres, ils sont blanc, prêts à l’usage, prêts à recevoir les images fantasmées par les visiteurs autant qu’à réfléchir l’architecture du lieu. Plusieurs variations, au sol et sur les murs jalonnent l’exposition. Au fur et à mesure de l’avancée à travers les salles, on croise de plus en plus de couleurs, des pastels surtout. Les châssis prennent des postures moins simples, peut-être inspirées de l’esprit de la galerie qui a vu tant de gesticulations et de pastiches.

Un fascicule est fourni avec la visite et donne un air de rétrospective institutionnelle à l’exposition. On reconnaît alors bien volontiers que le propos de l’artiste nécessite d’être exprimé, et pas seulement une fois. De même, la forme du fascicule, proche des manuels de montage de meubles en kit, a quelque chose d’anti-ludique. C’est la règle d’un jeu, qui ne distrait pas et dont il fait pleinement partie.

Dans l’espace de la rue Saint-Claude est exposé le travail bien plus juvénile d’Ivan argote, sous le titre : Caliente. Là aussi il est question d’appropriation. L’artiste ne se contente pas de prendre ce qui lui plaît, il contourne la lettre et l’esprit pour engager un dialogue avec les objets qu’il choisit et selon les modalités de son choix.

On le voit alors converser avec certaines œuvres modernes comme dans la vidéo Feeling où il engage une danse avec un tableau de Malevitch. Ou bien encore, quand il tague subrepticement deux tableaux de Mondrian pour la vidéo Retouche, empruntant ainsi autant au nihilisme artistique du XXe siècle qu’à la gesture iconoclaste. C’est à chaque fois un peu de lui mais aussi peu d’air frais que l’artiste apporte aux œuvres qu’il approche.

Ivan Argote se positionne toujours comme un apport ironique et indulgent au domaine qu’il rencontre. Il en fait un admirable résumé dans The pigeon où il filme un groupe de volatiles au milieu desquels est posé un pigeon naturalisé. Les animaux suivent le cours de leur existence et le pastiche sur son socle nous regarde. Comme dans les vidéos précédentes où l’artiste prend la fuite une fois la performance réalisée, il sait bien que sa présence ne déroutera pas le cours des choses.

Dans Nous tous dans le bus, un fourgon de police allemande est secoué de l’intérieur. Le titre suggère une fête, l’image oscille entre la bavure policière et la partie de jambes en l’air. À chacun d’y entendre ce qu’il veut.

La dernière salle est réservée à l’ensemble de photos qui constitue la série Horse. Elle montre des sculptures équestres dont l’artiste a effacé les cavaliers. Seul restent les chevaux libérés de leurs maîtres. Et si l’on ne connaissait pas ces sculptures par ailleurs, on pourrait facilement croire qu’elles n’en aient jamais eu. Sans mors ni étrillés les chevaux ont bien belle allure.