Aller voir une exposition de Monet est loin d’être pour tout le monde une balade au milieu des champs de coquelicots. Comment trouver le parfait équilibre entre un enthousiasme béat proche de celui que l’on peut ressentir lors d’une visite chez Ikea, et l’aveuglement hautain de ceux qui en ont vu d’autres. Si, en connaissance de cause, on peut se préparer et se réjouir à l’approche d’un tel exercice, rien n’est plus troublant que de prendre le risque d’être étonné par ce que l’on croit trop bien savoir.

Alors que se passe-t-il quand on se retrouve devant une pluie de Monet ? On en revoit de nombreux, on en découvre quelques-uns, mais surtout on s’aperçoit que loin de former un amas mou et pastel, ensemble, les œuvres de l’artiste prennent une densité inattendue. Certaines peintures, comme celles venues des musées de Nantes, Lille ou Rouen, où, un peu esseulées, elles n’attirent pas beaucoup le regard, s’enchâssent ici dans un enchaînement logique qui leur donne une présence à côté de laquelle on ne peut pas passer.

Dans cet immense ensemble presque tout l’artiste se trouve, les grandes compositions de jeunesse, les ratages au bord de la Méditerranée, la côte normande si belle que l’on ne l’imagine plus autrement, les paysages, enneigés, baignés de soleil ou sous la pluie, le goût des couleurs, de la touche et de l’observation. Ce mélange est si bien connu que le voir déconstruit dans cette exposition désoriente un peu. Comment ne pas succomber au cadrage radical des falaises sur la mer, et au fourmillement des brins d’herbe qui les surmontent ?

Pourtant par moment et par à-coups la visite crispe. Une première fois en arrivant dans les couloirs dédiés aux peupliers et aux meules de foin. Coincés dans de petits espaces ces œuvres magistrales souffrent de n’être pas assez représentées. Elles sont accrochées dans une chicane et laissent le sentiment d’avoir été mises de côté, comme « insurmontées » et honteusement diffractées. D’ailleurs, tout de suite après six cathédrales s’imposent frontalement ; érigés comme une muraille les trésors d’Orsay appâtent le regard et le détournent de la misère qui précède. Et puis, tout à la fin ce qui aurait pu être une symphonie de nymphéas et de reflets aquatiques se transforme en cacophonie. Les relativement petits formats, qui plus est très diversifiés, ne goûtent pas du tout à cet assemblage de salle de vente.

Plus tôt dans la visite, on peut voir côte à côte la version de la femme à l’ombrelle de Washington et celles d’Orsay. Parmi mille et une satisfactions qu’offre la visite c’est peut-être celle là qui vaut le détour, dix ans d’écart entre ces toiles, toutes les difficultés de Monet, échecs et réussites en trois tableaux sur un même motif.