C’est un mélange de déférence et d’excitation qui accueille le visiteur à la galerie Yvon Lambert pour l’exposition Roman Opalka. De déférence face à ce travail qui n’a d’autre fin que la mort de son auteur, et d’excitation devant un œuvre qui laisse le temps, une œuvre qui ne demande pas à être saisie, tout est déjà là dans ce travail et tout y sera encore demain.

L’artiste nous montre sans détour l’imbitable traînée que le temps laisse derrière lui et le tac tac de son passage. L’exposition commence par les portraits photographiques, quelque peu documentaires aux premiers abords, on y voit le sillage du temps sur un artiste qui semble s’être pris pour sujet. Pourtant au second passage on se rend compte que ce n’est pas l’artiste qui maîtrise le processus de son œuvre, son visage n’est autre que le premier témoin de l’asservissement dont l’artiste se fait l’écho.

Les peintures creusent encore le sentiment que c’est dans l’altérabilité même de l’artiste que l’œuvre se développe. Une étrange relation unit ces deux protagonistes, si l’on sait que c’est l’artiste qui a émis les contours de ce processus, les règles, elles, sont régies par les matériaux. L’écriture de cette suite de chiffres ne donne pas le tournis, elle semble avoir toujours été là et l’artiste ne fait que poser la main sur son passage. Elle est comme une ligne, pratiquement sans accrocs, sans grande particularité, quelconque. Une ligne inexorable, et qu’importe si à la fin Opalka ne sera plus là pour en relever le tracé, la part qui est la sienne à valeur de symbole pour tous. Seul le zéro lui appartient, c’est lui qui l’a choisit, arbitrairement et en toute liberté. Il y a bien eu un commencement mais celui-ci est bien loin aujourd’hui, et même si cette exposition atteste de son existence le déroulement de l’œuvre nous en éloigne.