Cette exposition qui vient de s’achever au musée des beaux-arts de Calais est la première rétrospective de Philippe Bazin artiste. Elle événement accompagne la parution de l’ouvrage « La radicalisation du monde » un grand recueil qui vient clore et asseoir toute la première partie du travail du photographe autour des portraits en noir et blanc qui l’ont fait connaître.

Le parcours commence avec la présentation des portraits de collégiens calaisiens effectués en 1995. Ce sont les seuls portraits présentés dans cette exposition, ils amorcent la visite de leur impressionnante force d’ensemble, et bien que leur présence, ainsi que celle des portraits de bourgeois de Rodin en fin de parcours, contextualisent le travail de l’artiste à Calais, l’ensemble de ces visages ouvre l’exposition de sa monumentale composition comme pour signifier et marquer les visiteurs de l’alfa de tous les travaux présentés par la suite. Dès la seconde salle on passe donc du noir et blanc à la couleur, des visages aux paysages inhabités, d’un rapport frontal au sujet à une distanciation vis-à-vis de celui-ci, les photographies s’enchaînent comme un contrepied appuyé de la première salle. Ainsi, l’exposition est à l’inverse de cette étonnante vidéo de 2002, plan fixe d’une heure durant laquelle on voit un paysage écossais passer d’un beau temps lumineux aux couleurs vivantes à un paysage neigeux à la lisière du noir et blanc, synthèse à rebours de l’œuvre de l’artiste. Le corps de l’exposition présente des œuvres datant de la fin des années 90 jusqu’à certaines toute récentes. Plusieurs sont proposées sous la forme de séries, parfois longues comme pour les Antichambres mais le plus souvent tronquées et formées de deux ou trois photos associées autour d’un même sujet, c’est le cas entre autres des Echafaudages ou des Usines d’armement en Albanie.

Datant de 2008 la série des Antichambres effectuée en Pologne dans des centres de rétention pour réfugiés se compose autour de photographies d’environnements fermés. Il se dégage de cette série un sentiment d’hygiène appuyé qui tend à déshumaniser le regard que l’on porte aux photos. Bien qu’habitées et portant les objets de la vie qui s’y déroule, ces pièces closes dont le dehors est souvent voilé par des rideaux, n’offrent que peu de prise à la vie que l’on y devine, pas de traces aux murs, les affaires qui y traînent sont posées là comme pour une nature morte, les couleurs y sont propres, la lumière pleine. Ce sentiment met sous le nez du regardeur la nature des images que l’on voit et parasite l’empathie que l’on pourrait être tenté de porter sur un tel sujet, la tension qui en résulte donne une réelle compacité aux photos.

Le reste de l’exposition est moins captivante et donne peu à réfléchir en dehors des vidéos qui souvent prennent le pas sur le travail de photographie. L’accrochage à contre lui le fait de s’apparenter à une collection d’images, un florilège, un choix bien pensé et pour le coup trop structuré et ne donnant pas ou peu de prises au regard du visiteur. Le travail de Bazin lui-même porte cette mécanique tant on peut voir dans l’enchaînement de ces photographies la construction d’une œuvre, image après image comme un philatéliste le ferait dans ses classeurs. Comme si la couleur séparait les photographies et les cloisonnait dans le strict carré qui les borde à la manière d’un mortier entre des briques. C’est d’ailleurs peut-être un hasard mais le visiteur est in fine amené à achevé son parcours dans la salle des portraits de collégiens là même où il avait laissé le travail de Bazin presque quinze ans plus tôt.