À la découverte de la récente installation permanente de François Morellet dans l’escalier Lefuel de l’aile Richelieu au Louvre, beaucoup se sont demandés ce qu’ils auraient vu s’ils n’avaient pas su. S’il est désormais trop tard pour le savoir on peut néanmoins se poser la question de ce que l’on voit vraiment.

On devine une réelle malice dans l’accomplissement de ce travail et l’on se laisse aller à savourer le décalage que produit l’œuvre, visible pour ceux qui auront fait sciemment le déplacement mais à peine perceptible aux visiteurs qui se seront perdus dans ce coin sec, nu et quelque peu ingrat du musée. Quel que soit le point d’accès à l’œuvre, que ce soit en montant les escaliers ou en arrivant par le département de peinture flamande, cet espace se présente comme un goulot à priori dépourvu d’œuvre, un des rares points de respiration qu’offre une visite au Louvre. L’installation s’inscrit dans un ensemble architectural complexe où l’escalier monumental se déploie en plusieurs volées de marches parallèles et superposées dans un espace aveugle seulement éclairé par une lumière zénithale. L’illusion naît d’abord de ce qu’on pense que les baies vitrées sont des ouvertures sur l’extérieur, celles-ci ne sont pourtant que des ponctuations lumineuses mais non éclairantes. C’est sur celles-ci, cinq en tout, que l’artiste a choisi d’intervenir en induisant un léger souffle dans le dessin strict de ces vitraux. Les lignes y sont toujours droites et enchâssées dans deux cercles concentriques, mais l’artiste les a doublées et décalées de manière à déséquilibrer leur composition si sage. De plus, l’espace créé entre l’ancien dessin et le nouveau, tous deux superposés dans l’ovale des vitraux, est rempli d’un verre légèrement plus opaque de façon à accentuer le décalage, l’ensemble fait penser à une ombre portée par la grille extérieure d’une fenêtre sur les carreaux de celle-ci.

Le résultat est des plus discrets, à tel point que la plaque mentionnant la présence d’une œuvre dans ce lieu a quelque chose d’incongru et de plutôt inhabituel pour un musée d’art classique mais cependant bien connu des visiteurs de biennales d’art contemporain. Cette plaque pousse le visiteur à lever le nez et à se demander où se trouve l’œuvre. Et c’est dans ce geste, renversement du regard dans la visite des salles du Louvre, qui donne plus l’occasion de voir que de chercher, que ce trouve tout le sel de cette installation.